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Histoire des deux royaumes, Adven le Vent Gris

Une jeune ami impressionnable m’a demandé il y a peu, ce qu’il en était de toutes ces dames et demoiselles qui arpentent l’Eriador en portant des culottes d’homme, et en arborant ouvertement des armes.

Il est vrai que ce n’est pas chose commune, à part chez les elfes en temps de guerre, et chez les nains mais cela est propre à la nature que leur a donnée Aulë.

Je n’ai pu alors, que lui faire cette réponse de barde, qui est bien sûr un conte.


[---]


Trente ans après la chûte du Cardolan et la destruction de la tour d’Amon Sûl, alors que la vision des hommes se troublait, éclata dans le Gondor un conflit terrible.

Un jeune capitaine de la flotte du Gondor, Castamir, prince de la maison d’Anàrion ; s’érigea contre le roi Eldacar le second, car celui-ci était issu d’une lignée impure aux yeux des descendants des Numenoréens. Eldacar, de par sa mère, était le petit-fils du roi de Rhovannion.

Castamir était vaillant, habile combattant comme tacticien ; et ses propos trouvaient l’oreille du peuple, aussi bien que de nombreux nobles du royaume.

La guerre fratricide éclata. La capitale du royaume, Osgiliath, fut changée en un champ de ruines, et sa pierre de vision sacrée, le Palantir, disparut.

Beaucoup d’hommes de bien périrent ; parmi eux, Gaïben Azra-Târik, sénéchal du port fortifié de Pelargir qui combattit sous les couleurs de Castamir, son capitaine. Et ce ne fut pas de la main d’un inconnu qu’il périt, mais bien de celle de son propre fils, le jeune chevalier Valor Azra-Târik.

Mais peu savaient alors quel funeste destin avait frappé la maison des sénéchaux de Pelargir, car Gaïben et Valor étaient hommes d’honneur, fermement ancrés dans la croyance qu’ils faisaient leur devoir, mais pas sans amour l’un pour l’autre.

Au cœur de la bataille d’Osgiliath, Gaïben affronta son jeune fils ; il le dépassait en force comme en expérience, et il l’envoya mordre la poussière avec aisance. Mais au moment où il dressait sa lame vers les cieux, la prenant à deux mains pour l’abattre sur son ennemi… Il ne put se résoudre à meurtrir la chair de sa chair, il suspendit son geste.

Valor se voyait mort, et c’est avec grande peur qu’il réagit sur l’instant ; il plongea son épée dans le sein de son ennemi, largement découvert.

Horrifié, il recouvra ses esprits pour trouver son père mort à ses pieds, sa raison chavira, et au milieu des carnages, il erra ; frappant tous ceux qui barraient son chemin. Ses pas l’amenèrent jusqu’au pied de la grande tour, et il croisa un des Varyari Palantirion, lequel dans sa fuite tentait de mettre la précieuse pierre de vision en sûreté.

La ville était en flammes, Castamir et ses troupes l’emportaient. Voyant un chevalier portant les couleurs du Roi, le sage implora ce dernier de l’aider ; mais Valor n’entendait pas, et comme fou, précipita le vieil homme dans le flot de l’Anduin avant de poursuivre sa route.

Ses pas le ramenèrent au logis qu’il occupait avec sa mère et sa sœur, depuis leur fuite de Pelargir ; elles s’alarmèrent car sa mine était terrible, pâle comme la mort, il avait reçu de nombreuses blessures qui saignaient abondament.

Il ne put dire que ceci :


« C’en est fini, Osgiliath est tombée, et avec elle le monde des hommes. »


Mais sur ces entrefaits arriva un sergent, portant la lance et les couleurs du Roi ; il s’emporta et hurla contre Valor :


« Traître, tout comme ton père, traître ! Tu as tué le bon Varyar Palantirion, je t’ai vu ! »


Et il chargea, lance en avant pour frapper Valor qui ne faisait pas mine de se défendre ; sa mère s’interposa et reçut en son ventre la cruelle blessure, destinée à son fils. Mais cela n’avait pas appaisé le courroux du soldat, qui laissa choir sa victime et tira le poignard.


« Maudite soit la maison d’Azra-Târik ! Je vois bien à présent que vous étiez tous venus dans l’intention de nous nuire ! »


Mais il n’eut pas le temps de poursuivre, car dans un dernier geste de fureur sucité par l’assassinat de sa mère, Valor fils de Gaïben, lui trancha la tête.

Il s’ écroula, sur le tapis, sans connaissance à côté de sa mère ; laissant sa jeune sœur horrifiée par la scène.

Mais déjà au dehors, le cri du sergent avait trouvé écho.


« Valor nous a-t-il trahis à son tour ? Où sont les armes d’Azra-Târik quand l’usurpateur brûle la cité ? Pas aux côtés du Roi, assurément ! »


Et les loyaux serviteurs du Roi Eldacar se retirèrent en toute hâte d’Osgiliath, fuyant vers le Rhovannion allié. Le logis des Azra-Târik ne tarda pas à s’effondrer, ses poutres rongées par les flammes.


[---]


Au lendemain, d’aussi loin que la colonne de réfugiés avait pu fuir, on voyait encore le sinistre panache de fûmée s’élever des ruines d’Osgiliath la belle ; c’était grande peine, mais soudain, une sentinelle postée sur une colline hurla :


« Voici venir un cavalier ! »


Et de la compagnie on lui demanda qui était cet homme.


« Il est tout en armes et ses couleurs sont celles de Pelargir ! Aux armes, l’ennemi nous attaque ! »


Dans la compagnie du Roi, Beltram Abâr-Dulgi, chevalier de Dor-En-Ernil, éperonna son cheval et partit à la rencontre de son ennemi. Car le chevalier aux armes noires comme l’eog était des plus vaillants, de tous on disait qu’il était le meilleur des hommes du Roi.

Les deux chevaliers arretèrent leurs montures à bonnes distance, et Beltram Abâr-Dulgi lança son défi.


« Je suis la plume noire du cygne de Dor-en-Ernil, et fidèle soldat du Gondor ; si tu veux t’en prendre aux gens du roi, chevalier de Pelargir, alors nous combattrons ! »


Et l’autre lui répondit en ces termes.


« Je te connais et te tiens pour un chevalier honnorable, seigneur Abâr-Dulgi ; mais je ne suis pas ici pour faire du tort à mon Roi, juste rejoindre son service. Je suis Valor Azra-Târik, fidèle de Pelargir. »


Mais le poison avait déjà fait son office, et quoi que Beltram eut connu son jeune cadet, il ne pouvait pas prendre de risque.


« D’étranges rumeurs courrent à ton propos ; tu as disparu de la bataille hier, il y eut grand tumulte en ta demeure et nous perdîmes le Palantir d’Osgiliath. Nombreux t’accusent de traîtrise ! »


Les chevaux grattaient le sol de leurs sabots, sentant la tension de leurs maîtres ; sans relever sa visière, Valor répondit amèrement.


« J’ai perdu tous ceux qui m’étaient chers de par la faute du fou Castamir, jamais je ne trahirai mon Roi… Quand à ceux qui colportent ces rumeurs, je saurai bien les faire taire ! Es-tu de ceux-là, seigneur Abâr-Dulgi ? »

« Les apparences sont contre toi, Valor ; mais en homme qui se targue d’avoir un peu de sagesse, je dirai que je ne te tiendrai pas pour un traître, pas sans que tu sois jugé par tes pairs. Et ce jugement t’attend ici, prouve ton bon droit chevalier du Gondor ! »


Ils abaissèrent leurs lances et s’élancèrent l’un contre l’autre avec furie ; Beltram était sûr de sa force, et perché sur ses étriers allait au choc ; son adversaire reçut le fer de sa lance en plein sur son bouclier, il fut démonté dès la première passe et jetté au sol.

Bien que sonné, Valor se redressa et tira l’épée ; c’était vaillant, aussi Beltram mit pied à terre et fit chanter sa lame à son tour.

Valor était hardi, et s’exposait beaucoup ; Beltram se retira prudemment derrière son bouclier, le laissant s’épuiser, puis glissa quelques coups habiles, fendant le haubert et saignant son adversaire ; ce dernier, à bout de forces, fut aisément désarmé.

Beltram glissa son épée entre le gorgerin et le haume de Valor.


« Demande merci et constitue-toi prisonnier ou périt ici-même ! »


Mais Valor garda la tête haute, sa voix n’était plus qu’un souffle, mais sa volonté encore brûlante.


« Jamais, seul l’ennemi se constitue prisonnier ; accorde-moi ce souhait, enterre-moi avec mes armes et fait savoir au Roi que Valor de Pelargir lui fut fidèle jusqu’à sa fin. »


Nul ne pouvait mentir face à la mort, certainement pas un chevalier du Gondor en tout cas ; Beltram fut fort troublé et abaissa son arme.


« Trop de sang des fils du Gondor a coulé à ce jour, je ne serai pas celui qui abattra chevalier si fidèle ; assurément je ne te tiens pas pour un traître Valor. »


Et Beltram fit une civière de son bouclier, puis emmena le chevalier au campement du Roi pour qu’on y bande ses blessures.

On remit le chevalier aux soins d’une vieille sœur du Sielli Niennava, la prêtresse voulut le dévêtir de ses armes, mais le chevalier moribond retînt sa main.


« Sœur, j’ai fait le vœu de ne pas enlever mes armes tant que Castamir n’aura pas été bouté hors des frontières du Gondor, et Eldacar remit sur son trône. »

« J’entends bien chevalier, mais comment te soigner avec tout ce fer et ces mailles ? Et prendra-tu tes bains ainsi armé ? Assurément, c’est un vœu qui t’honnore mais auquel tu devra faire des concessions. »

« Alors que nul ne me voie sans mes armes avant ce jour. »


La prêtresse soupira, mais elle connaissait bien les Queni et leur honnorable entêtement, aussi usa-t-elle de ruse pour faire fléchir le chevalier.


« Je ne suis pas la moins versée des sœurs de Nienna dans l’art des soins, on dit même de moi que je pourrai guérir une plaie les yeux fermés ; il semble que le jour soit venu de vérifier la véracité de ce propos. »


Et elle se banda le yeux, aussi le chevalier la laissa-t-elle prendre soin de lui.


La route des gens du Roi était longue jusqu’au Rhovannion lointain, et leur chemin fut parsemmé d’embuscades tendues par les gens-des-chariots, et des orques du Mordor. A chaque bataille, Valor s’élançait hardiement en tête, et il combattait avec fougue, sans aucune retenue ; à ces occasions il reçut plus d’une fois de vilaines blessures.

On se demandait, quoi qu’on admira sa vaillance, si le jeune seigneur de Pelargir ne désirait pas la mort ; mais les bonnes sœurs de Nienna veillaient au grain, et le fort sang de la lignée d’Azra-Târik, quoi qu’il fut souvent versé, ne fit pas défaut à Valor.

A chaque fois, Valor fit appel à la guérisseuse qui avait convennu avec lui de respecter ses vœux ; mais il sous-estimait grandement sa perspicacité.


« Seigneur, tu as des os très fins pour un homme d’Azra-Târik ; assurément c’est grande peine que je ne puisse voir ton visage car il doit être fort beau. »

« La beauté ma sœur, n’est nullement utile au Roi ; retires-donc la flèche de mon épaule, que mon bras puisse le servir à nouveau. »


Une autre fois, c’est à l’estomac que Valor reçut une belle entaille de la hache d’un orc, sans son haubert et l’exercice d’une vie de cavalier, il aurait sûrement perdu tripes et boyaux.


« Seigneur, j’ai de nombreuses fois remarqué que tu bandes ton torse, es-tu blessé ? »

« Ma sœur, je reçus une blessure terrible à Osgiliath qui me laissa pour mort ; parfois elle me refait souffrir et ce bandage me soulage beaucoup. »

« C’est que ta blessure doit être mal soignée, veux-tu que je m’en occupe ? »

« Assurément non, j’en serai fort fâché ; car ce bandage c’est ma jeune sœur qui me le fit, avant de mourir dans l’effondrement de notre logis en flammes, jamais je ne m’en séparerai. »


Et ce n’était pas sans tristesse que le chevalier avait parlé, aussi la prêtresse n’insista pas. Mais un jour, un valet vînt la trouver alarmé.


« Ma sœur ! C’est sur conseil du bon Beltram Abâr-Dulgi que je viens vous trouver, il est fort inquiet car ces derniers temps son ami le seigneur Azra-Târik ne dîne plus à la table du Roi, on dit qu’il est souffrant. Je me suis rendu jusqu’à sa tente, et j’y ai vu une lavandière bouillir des linges tout ensanglantés ! Assurément il est arrivé grand malheur au vaillant Valor de Pelargir, hâtez-vous de lui porter secours ! »


Et aussi vite que ses jambes purent la porter, la prêtresse de Nienna se rendit à la tente où pendait le bouclier du seigneur de Pelargir. Bien décidée à mettre fin aux mystères de sa blessure, elle pénétra d’un pas hardi, prête à affronter l’orage.


« Qui va là ? Qui entre dans ma tente sans s’annoncer et contre mes vœux ? »

« C’est moi monseigneur, qui d’autre ? J’obéis à votre volonté, mais celle de Nienna prime sur tout seigneur autre que le grand Roi du monde… Et elle me dit que vous souffrez, aussi je suis là ! »


La sœur se retroussa les manches, et s’approcha de la couche où était étendu le chevalier ; il était bien trop affaibli pour lui résister, et grande fut la surprise de la prêtresse en découvrant la nature de la blessure de son patient.


« Mes yeux voient, et je comprends mieux à présent ce que me disaient mes mains ; quelle étrange aventure vous a menée en ce lieu, et sous cette apparence ? »

« Tout est perdu à présent que tu sais, ma sœur ; je ne suis pas celui que je prétend être. »

« Je le vois bien demoiselle ! Quelle folie t’as donc poussée à cette mascarade ? »


Et celle qui combattait sous les armes des Azra-Târik put enfin partager sa peine avec quelqu’un, sous le poids de la solitude comme de la culpabilité, elle ouvrit son cœur à la sœur de Nienna, qui en fut toute bouleversée à son tour.


« Qui aurait soutenu le nom de ma lignée quand tous, autres que moi, sont morts ? Mon pauvre père ne pensait pas en mal, il était des anciens qui tiennent le sang de Numenor en si haute estime, qu’ils ne sauraient le trahir même pour un Roi légitime ! Quand à mon frère, quelle douleur fut la sienne de désobéir à l’homme qu’il respectait le plus au monde ? Et ma mère qui fit tout pour protéger ses enfants… Doivent-ils être blâmés pour la folie de Castamir ? Doivent-ils tous errer sans repos jusqu’à la fin des temps par sa faute ? Pas si je pouvais l’empêcher ma sœur ! »


Et la prêtresse pleura amèrement, car la demoiselle était trop fière pour ce faire.


« Pauvre enfant, je t’assures qu’avec moi ton secret sera bien gardé. Mais tu ne peux continuer ainsi à porter ce fardeau seule sur tes épaules… Je me taierai si j’obtiens en échange de toi, la promesse que tu suivra mes conseils. »


Et la demoiselle de Pelargir était éperdue de reconnaissance, elle embrassa les mains de la prêtresse et lui promit de faire comme elle commanderait.


« Ta vaillance est aussi grande, voire supérieure à celle des hommes du Roi ; mais il est flagrant que contrairement à eux, tu n’a pas appris à jouer de la lance et du bouclier, ou à manier l’épée. Maintes fois tu as reçue des blessures que tu aurai sans doute pu éviter, et cela éveille la curiosité de tous les Queni du Roi ; il te faut apprendre l’art de la chevalerie. »

« Mais tout le monde saurait alors que je ne suis pas chevalier ! »

« Ici dans le Sud, nous avons oublié la sagesse ancienne ; alors que les hommes erraient encore dans les ténèbres, les elfes avaient forgé le fer pour en faire des épées ; aucun homme en ce monde n’a l’adresse ou le savoir des tours guerriers dont les elfes sont maîtres. Demain, tu prendra congé du Roi, en prétextant que je t’ai ordonnée de chevaucher à la recherche des elfes, pour qu’ils guérissent ta blessure avec un baume merveilleux dont seuls, eux, ont le secret. »

« Et où me rendrai-je ma sœur ? Je n’ai nulle connaissance des elfes ! »

« Tu chevauchera le long de la berge orientale de l’Anduin, et tes yeux devront guetter à l’ouest là où le Limeclair se jette dans le grand fleuve ; si ton cœur est pur, alors tu verra une tour haute et terriblement triste, dans sa proximité le ciel semble toujours se couvrir, et autour d’elle la brûme règne souvent. Une enchanteresse y réside, mais sois prête à affronter de grandes épreuves, car son cœur ne connaît pas la pitié, et même son propre peuple l’a condamnée à vivre loin d’eux. »

« Mais toi, comment as-tu ce savoir ? »

« Jadis, notre ordre fut benni par Nienna, et les elfes qui étaient ses amis nous apprirent comment soigner blessures comme maladies. Nienna est celle qui pleure sur le sort d’Arda et de ses habitants, nulle plus qu’elle ne connaît la compassion ; elle connaît bien l’Enchanteresse de la tour solitaire, mais cette dernière est trop fière pour laisser quiconque la prendre en pitié. A travers-moi, Nienna tend à nouveau la main à l’enchanteresse, et c’est toi qui sera sa messagère ; restaure sa confiance en le peuple des hommes, et alors l’espoir renaîtra qu’elle connaisse un jour la paix. »


C’était une mission sacrée, aussi la demoiselle de Pelargir prêta serment de trouver la Tour Solitaire, ou de périr en essayant. Le lendemain, soignée par la prêtresse, elle se rendit toute en armes devant le Roi ; elle lui exposa la raison de sa quête, et lui demanda son congé.


« C’est grande peine, Valor, que de me passer de ton bras ; tous mes Queni te tiennent en haute estime, et depuis longtemps les doutes à ton sujet ont été balayés, lavés par le sang de la bataille. Nous arriverons bientôt chez mes parents, et y résiderons le temps que la force de reprendre notre royaume nous soit revenue. Chaque jour j’enverrai un chevalier guetter à l’Ouest ton retour, et je ne veux partir sans toi à mes côtés pour la bataille. »


Et Beltram aux armes noires se leva hardiment.


« Je serai ce veilleur ! Valor, depuis notre rencontre tu n’as eu cesse de me montrer que je pouvais être meilleur chevalier, que la sagesse doit faire part égale au courage ; puisse-tu trouver la sagesse et moi le courage ; en attendant ce jour échangeons nos boucliers, car nous nous complétons assurément ! »


Ainsi, la plume noire du cygne de Dor-en-Ernil et le pilier dressé face à la mer de Pelargir devînrent frères de boucliers. Valor monta à cheval, fit ses adieux à la compagnie du Roi et partit vers l’Ouest.


[---]


Valor chevaucha longtemps, et plus elle allait avant, moins d’âmes pouvait-elle rencontrer ; les indications sur sa route étaient confuses, souvent contradictoires ; et seul le chant de l’Anduin restait un ami dans sa quête de la Tour Solitaire, car les gens craignaient l’endroit et sa terrible maîtresse.

La journée était chaude, alors qu’elle laissait son destrier boire, celle que l’on appellait Valor étouffait sous ses armes ; deux bateliers qui descendaient le fleuve sur leur barque l’apperçurent, c’étaient deux étranges bonhomme à la tunique d’un bleu passé, ils accostèrent et un premier salua le chevalier.


« Bonjour à toi monseigneur ! C’est une bien belle journée, comme tu dois peiner sous ta lourde armure ! Y a-t-il des gobelins dans la région que tu te méfies de leurs flèches ? Ah, crois-moi, je connais l’endroit et tu n’as pas de soucis à te faire, l’eau est délicieuse, c’est fort triste de ne pas en profiter. »


Mais le second batelier ne semblait pas partager l’avis de son compère.


« Que nenni ! La forêt noire est toute proche, et les arcs des gobelins portent loin ; ce chevalier est sage de garder son armure, mais il pourrait se faire tremper pour se rafraîchir, il y a là un arbre avec de fortes racines pour s’agripper tout près du bord. »


Et ils se disputèrent, car selon le premier le chevalier risquait de se noyer en se baignant tout en armes, et selon le second, l’endroit était bien trop périlleux pour y rester sans protection ; d’ailleurs, le second bonhomme sauta dans la barque et fit mine de s’en aller, aussi le premier dut se hâter de le rejoindre.

Alors qu’ils s’écartaient de la rive, ils hélèrent le chevalier.


« Alors Queni, que vas-tu faire pour te soulager de cette accablante châleur ? »


Le chevalier regarda son bouclier et songea qu’il n’était pas là affaire de courage, mais de sagesse ; il se déplaça et s’adossa à l’arbre pour profiter de son ombre, puis il but l’eau sans pour autant s’y glisser.

Les deux bateliers rirent ensemble et disparurent sur le fleuve, alors une brise légère se leva depuis cette direction, et glissant sous plaques comme à travers mailles, rafraîchit Valor qui put reprendre sa route.

Le jour suivant, le chevalier de Pelargir avait du dormir à la belle étoile et se contenter de ses dernières provisions, car il n’avait pas croisé de forteresse ou de manoir, pas même une humble chaumine où recevoir l’hospitalité depuis des jours.

Son ventre criait famine, et sa résolution était mise à rude épreuve… Mais dans le lointain, un cavalier approcha ; il était comme aucun autre, son cheval était immense, d’un blanc immaculé ; il ne portait qu’une tunique d’étoffe très fine, parfaitement taillée et sans aucune souillure ; ses muscles était saillants, sont front haut et noble, ses cheveux d’or cascadaient sur ses épaules. Tout à son émerveillement, Valor ne doutait pas que ce puissant chasseur avec ses javelots fut un des elfes dont on lui avait parlé.


« Bonjour à toi beau seigneur ! »


Et l’homme sourit, d’un sourire magnifique et franc, comme s’il reconnaissait le chevalier sous son armure.


« Bonjour à toi mon amie. »

« Seigneur sais-tu où je pourrai trouver à me restaurer sur la route qui mène au nord-ouest ? Car voici plusieurs jours que j’avance sans croiser personne ; il y avait bien deux bateliers sur le fleuve hier, mais ils ont disparu avant que je ne puisse leur poser la question. »

« Oui, les Ithrin Luin sont fuyants ; mais tu ne trouvera pas logis en ces terres avant plusieurs jours de chevauchée… Le fracas de tes armes chassera les bêtes loin par devant de toi, et tu ne pourra chasser ; si tu persistes à cheminer ainsi, tu mourra de faim je le crains. »

« Beau seigneur, tu respires force et sagesse, ton logis n’est-il pas dans les environs ? Ou ne souhaites-tu pas m’y recevoir, car sâches qu’il n’y a rien au monde que j’aimerai plus que devenir l’amie des elfes. »


Et le cavalier rit, d’un rire puissant à faire trembler la terre.


« Non, mon logis est fort distant et je ne puis t’y accueillir ; mais les amis des elfes sont mes amis, car je les aime chèrement ; aussi vais-je te donner un de mes javelots, ils ne ratent jamais quelle que soit la distance, mais prends-garde car ils sont comme l’éclair et on ne peut les utiliser qu’une fois. »


Le cavalier tendit à Valor un de ses javelots, une arme magnifique faite d’un seul morceau d’ivoir poli, et cerclé d’anneaux d’or gravés de runes mystérieuses.


« Je ne sais comment te remercier seigneur, considères-moi comme ton chevalier désormais ; si tes commandements ne sont contraires à mon honneur ou à la volonté de mon Roi, il n’y a rien que je ne ferai pour te satisfaire. »


Le cavalier fit tourner bride à sa monture et lança un dernier regard à Valor.


« Tu es déjà le chevalier de la triste dame, et mes vœux sont pareils à ceux de ma sœur ; va et souffle sur les braises du chœur d’Elenlachel ; car je souffre de voir une de mes amies dans l’affliction et la solitude ! Et n’oublies jamais qu’un bon chevalier n’est rien sans son destrier ! »


Et il disparut dans un bruit de tonnerre, les ombres fuyant partout sur son passage ; le cœur de la demoiselle de Pelargir en resta longtemps émerveillé.

Bien plus tard, cheminant dans une lande déserte ; Valor apperçut un cerf magnifique à portée de javelot, mais alors qu’elle l’empoignait raisonna un cri.

A l’autre bout de la lande, un nain se battait contre une arraignée monstrueuse, et sa situation était si mauvaise, que même lancée au triple galop, le chevalier n’aurait pu lui porter secours. Grande était sa fatigue comme sa faim, mais il n’y avait qu’une seule conduite honnorable ; celle que l’on appelait Valor empoigna l’arme magique que le cavalier lui avait confiée et visa l’arraignée.


« Va, vole prestemment et défait les ténèbres ! »


Le javelot s’éleva puis se changea en trait de lumière, comme la foudre furieuse il frappa l’arraignée et la réduit en cendres avec une telle vigueur, que le nain comme la demoiselle en furent aveuglés.


Quand elle rouvrit les yeux, le beau cerf avait filé.


Elle s’avança vers le nain et descendit de sa monture pour poser un genou à terre, souhaitant lui parler sans l’offenser.


« Comment vous-portez vous maître nain ? »

« Bien mieux qu’il y a un instant, je vous l’assure l’ami ! »


Et de sa forte barbe tressée et fichée d’anneaux ouvragés, jaillit un rire cordial ; Valor fut impressionnée, comme ce guerrier était sans peur ! L’instant d’avant il contemplait sa mort, et à présent il riait.


« J’en suis fort aise, hélas, c’était mon seul javelot et je ne sais comment faire pour poursuivre ma quête à présent, car je n’ai plus de provisions. »


Le nain réfléchit un instant.


« Ma foi si ce n’est que ça, je partagerai mes provisions avec vous ; je vous doit bien ça ! »

« Vous me sauvez la vie ! »

« Bagatelle ! J’ai une dette envers vous l’homme ; je suis Baglin Croûtenfer, chasseur d’arraignées et votre ami à présent. Venez à mon campement et nous serons plus à notre aise. »


Ils cheminèrent, et Baglin était un joyeux compagnon ; son campement était derrière un gros rocher, il y avait là une cariolle et des bœufs, ainsi que tout ce qu’il faut pour plaire à un nain en campagne. Tonnelets de bière, chapelets de saucisse, viande salée et tabac à priser comme à fumer ; sans oublier une enclume et une foule d’outils. Valor fut heureuse d’accepter l’hospitalité du nain, et la bière aidant, lui raconta tout de sa quête.


« Je ne comprends pas les hommes belle amie, chez nous la vaillance est égale et tout nain, qu’il soit mâle ou femelle prend la hache à l’heure de la bataille… Je vois bien comme vos armes vous sont inconfortables, car elles furent faites pour votre frère ; restez trois jours avec moi, et je vous fournirai un haubert léger et ajusté, tout comme il vous faut. »


Et il en fut ainsi, Baglin produisit une côte merveilleuse, si fine que seul l’air pouvait la traverser, si résistante que seul le feu le plus ardent aurait pu la défaire, si légère que l’on pouvait nager ou danser en la portant. Puis vînt le moment de se séparer.


« Voilà belle amie, nos routes diffèrent et je vous souhaite bonne chance dans votre quête de la Tour Solitaire ; ne m’oubliez pas et si jamais vous ou vos gens êtes dans le besoin, envoyez un message jusqu’aux monts du fer. Les nains n’aiment pas trop sortir de leurs demeures, mais je ne suis pas de ceux-là ; car je vais partout où les ténèbres tissent leurs toiles. Les haches des nains, les nains seront sur elles ! »

« Adieu Baglin, je n’oublierai jamais le cri de guerre du peuple de Durin ! »


Et le cœur léger, celle que l’on appellait Valor poursuivit sa route plus au nord-est ; au bout de deux journées de chevauchée, elle entendit le rugissement des flots, et là ; le Limeclair rencontrait l’Anduin. Le jour était triste, le ciel couvert ; aussi tourna-t-elle son regard à l’Ouest et scruta la berge noyée dans la brûme.

La tour devait forcément être là, mais il fallait traverser pour la chercher ; comment faire ?

Et soudain, jaillissant de la brûme pour s’approcher du rivage, les deux bateliers en bleu firent signe à Valor, qui bien qu’elle trouva étrange qu’ils furent en amont après avoir disparu des jours plus tôt en aval, ne pensait qu’à traverser.


« Amis bateliers, j’ai besoin de votre concours, aidez-moi à traverser jusqu’à l’autre rive je vous prie ! »


Ils discutèrent entre eux et le premier répondit.


« Fort certainement Queni, mais nous ne pourrons prendre que toi ou ton cheval. »


Et le second alors d’ajouter.


« L’enchanteresse qui habite de l’autre côté n’aime pas être dérangée, nous ne pourrons faire le voyage qu’une fois ou bien elle nous lancera un sort, et sa magie est terrible ! »


Mais la demoiselle de Pelargir ne pouvait se résoudre à abandonner son cheval, c’était là le conseil du cavalier mystérieux qui l’avait prévenue que les deux bateliers, les Ithrin Luin, étaient de nature fuyante.


« Ithrin Luin, puisque c’est votre nom ; donnez moi votre parole sur la terre comme les étoiles, que si je vous confie mon cheval, vous le mènerez bien sur l’autre rive ! »


Les deux bateliers rirent de s’entendre appeler ainsi, et soudain leur mine se fit sérieuse, empreinte de solennité.


« Sur ces choses que nous tenons pour sacrées nous tiendrons parole, Queni ; mais tu devra traverser le flot de l’Anduin à la nage et sans te dévêtir de tes armes, l’aventure est périlleuse, voir impossible ! »


Mais Valor avait confiance en son courage comme en le travail de Baglin le nain ; elle mit pied à terre et hocha lentement la tête.


« Qu’il en soit ainsi, je trouverai la Tour Solitaire ou périrai en essayant ! »


Les bateliers prirent le cheval, la lance et le bouclier du chevalier à leur bord, puis les amenèrent de l’autre côté, et devant eux la brûme se retirait, comme par magie ; la demoiselle glissa dans l’eau et se mit à lutter contre le courrant qui menaçait à chaque instant de l’emporter… Cette même eau où son frère avait précipité un innocent et la pierre de vision sacrée.

Elle se vit noyée par bien des fois, et ne refit surface qu’avec la force du désespoir, mais elle refusa d’abandonner, et finalement, sa main agrippa les herbes folles de la rive ; exténuée, elle tenta de se tirer des eaux, mais elle n’y serait parvenue si son cheval ne l’avait secourue.

Brisée, elle reposait dans l’herbe, crachant encore de l’eau ; et déjà la brûme se refermait sur la barque des deux hommes en bleu, qui finit par disparaître.

Derrière la demoiselle, la silouhette d’une tour apparraissait, menaçante dans le brouillard. Elle finit par se redresser, s’empara de ses armes, et menant son cheval par la bride, avança vers sa dernière épreuve.


[---]


La tour était un bel édifice, étrange ; d’une pierre lisse et blanche… Et sa maîtresse attendait sur le pas de la porte.

Elle avait à la main un bâton pareil à un sceptre d’or, riche et ouvragé plus que celui d’un roi ; des cheveux blancs comme la neige étaient cerclés d’une lanière de cuir sombre où s’entremêlaient fils d’or et d’argent ; sa robe était simple, et ne rendait sûrement pas justice à sa silhouette ; mais qu’importe, car c’est du visage de l’enchanteresse que l’on ne pouvait se détourner ; des traits fins et tranchants comme une lame, des yeux clairs et durs comme le diamant, un port noble et grâve. Elle portait un ceinturon ouvragé, auquel une épée ancienne et d’une parfaite simplicité était accrochée, comme une griffe lisse d’un eog noir, pur et profond.

La voix de l’enchanteresse fendit l’air, et frappa Valor qui se sentit soudain très lourde, au point de tomber à genoux.


« Qu’espérais-tu en venant ici ? Etre accueillie par le chant d’argent de la harpe ? Qu’une couronne de fleurs te serait passée dans les cheveux et que l’on te mènerait à moi en te tenant par la main ? Le péché de ta race a souillé les rivières, le péché de ta lignée a souillé cette rivière ; j’ai senti la pierre de vision disparaître dans les flots durant votre bataille pitoyable.Vous n’avez nulle idée de ce qu’est la guerre, nulle idée de ce qu’est la colère ; mon ost a changé le visage de cette terre par son seul passage, et te voilà… Voulant me voler mes secrets. Je n’ai cure des querelles des hommes, vous êtes des animaux vulgaires, prompts à céder aux caprices de Morgoth ; vous pouvez bien disparaître, vous qui avez trahis les plus crédules d’entre les Eldars. »


Etait-ce là le discours d’une personne désirant être aidée ? La demoiselle de Pelargir ne pouvait le croire, mais elle sentait aussi la culpabilité de sa race, comme celle de sa lignée… Qu’avait-elle a répondre à tout cela ? Devait-elle garder l’espoir alors qu’un immortel lui disait qu’elle était perdue, condamnée comme tous ceux de son peuple ?

Mais en venant ici, en parcourant ce chemin si dur depuis les ruines d’Osgiliath ; en risquant sa vie maintes fois tout en connaissant la morsure cruelle de la solitude, elle avait trouvé l’espoir dans ses rencontres ; voici à quoi elle songeait, et imagineant les siècles passés seule par l’Enchanteresse, elle ne put que ressentir une grande pitié pour elle ; et lui pardonner sa colère.

Une larme roula sur la joue de la jeune femme, et une voix étrangère s’empara de sa bouche, provenant de son cœur… Soudain, le pouvoir de l’Enchanteresse ne semblait plus rien.


« Les Noldor commirent le premier meurtre, ton épée massacra les Telleri tes frères ; ton avidité te rendit dupe des mensonges d’Annatar ; et sur quoi règnent à présent ta superbe et ton orgueil, oh Elenlachel ? Les hivers te sont froids, les été brûlants et interminables ; l’eau n’appaise pas ta soif, la nourriture ne calme pas ta faim , tu ne connais pas le sommeil, et tu ne connais plus la joie. Pourtant le monde est toujours le même, au dehors il t’attend, mais tu te refuses à lui. Dans des jours lointains, une émotion jaillira du puits arride de ton cœur, puis, comme un torrent le flot ne cessera plus et menaçera de t’emporter. Lorsque tu abandonnera, lorsque tu t’abandonnera, alors tu sera sauvée par une main aimante. Si ton orgueil fou te pousse à mettre ma prophécie en doute, alors demande-toi comment cette frèle jeune femme dont j’emprunte la bouche, a pu arriver jusqu’au pas de ta porte, malgré tous tes enchantements. »


Et la force se retira aussi soudainement qu’elle avait envahie le corps de la demoiselle de Pelargir ; elle s’effondra sur le sol, sans connaissance.

Elle ne sût pas combien de temps elle resta ainsi inanimée ; lorsqu’elle se réveilla, elle était douilettement installée dans un lit moelleux, aux draps de coton d’un blanc éclatant. L’enchanteresse assise à son chevet ; elle passa une main dans les cheveux bruns coupés courts de la demoiselle et… Sourit. Ce simple sourire rayonna et réchauffa la chambre, tout à coup la dormeuse se sentit éveillée comme au contact du soleil, et plus reposée que jamais.


« Tu connais mon nom, enfant ; mais quel est le tiens ? »


Et pour la première fois depuis qu’elle avait renoncée à sa vie, la demoiselle de Pelargir laissa son nom échapper de ses lèvres.


« Adven. »


L’enchanteresse quitta alors la chambre, déposant une robe de soie et un manteau de laine sur le lit. Lorsqu’Adven eut enfilée ces vêtements, et prit la porte à la suite d’Elenlachel, elle réalisa alors combien la tour était grande. Ayant retrouvé un visage impassible, l’elfe à la chevelure de neige attendait dans la grande salle ; il y avait là un bon feu, et sur la table profusion des mets les plus fins.


« Assied-toi Adven fille de Gaïben Azra-Târik, restaure-toi et écoute dans le plus parfait silence. Je suis une maîtresse exigeante, et je n’espère pas t’apprendre ne serait-ce que la base de ce que doit savoir un jeune guerrier elfe. Tout juste, le temps que tu me consacrera, te garantira-t-il de pouvoir peut-être accomplir un jour ta destinée. Sous ma tutelle tu connaîtra la souffrance, l’humiliation, et la défaite ; elles deviendront tes amies fidèles ; et si tu as assez de force d’âme, alors tu apprendra des leçons importantes à leur contact. Le temps que durera ton apprentissage, tu laisser pousser ta sombre chevelure, et le jour de ton départ, tu la coupera pour me l’offrir, c’est là le prix que j’exige de toi. »


Les prévisions d’Elenlachel étaient justifiées, et peu de fois Adven eu l’occasion de parler ; la première fois qu’elle posa une question, l’elfe fut très claire, ses propos étaient mesurés, au mot près ; ils n’appellaient aucune question.

Aussi Adven se tut, elle observa, immita, répéta ; et jamais ne céda au découragement.

Sa première leçon fut justement d’apprendre à observer ; à écouter la respiration de la terre, le chant du vent dans les abres ; déchiffrer le clapotis de l’eau et le reflet du soleil à sa surface ; sentir sous sa main les rides des pierres.

Elle dut vaincre la peur et l’obscurité, car c’est là où il fallait combattre l’ennemi ; elle sut bientôt se passer de la vue, et combattre comme si ce fut en plein jour.

L’épée de son frère fut fondue, puis reforgée ; devenant Gwaemithren, le vent gris, une arme à la mode des elfes, longue et légèrement recourbée, redoutablement rapide. La Queni apprit à la manier avec une aisance naturelle, et de façon ambidextre ; cela lui couta et elle resta des mois durant avec un de ses bras liés dans le dos, à accomplir toutes sortes de geste, d’abord courrants, puis de plus en plus précis.

De la maîtrise de son corps, elle apprit à supporter stoïquement la douleur, le froid, et la châleur ; contrôler son souffle.

Son équilibre devint aussi admirable, et ses réflexes fulgurants ; jamais Adven ne pourrait égaler un homme de plus haute stature en force, mais ses coups étaient si rapides et précis, qu’ils re révélaient à l’impact beaucoup plus puissants.

Un soir, alors qu’elle lisait un ouvrage que lui avait désignée sa maîtresse ; Adven fut surprise de se faire questionner par l’enchanteresse Noldor.


« Nul doute qu’avec ce que tu sais aujourd’hui, tu deviendra la fleur de la chevalerie de ton temps ; mais à quoi bon, si tu dois t’humilier devant des hommes qui te sont inférieurs en toutes choses ? N’es-tu pas fière de ta force nouvelle ? »


Adven choisit prudemment ses mots, peu désireuse de s’attirer l’ire d’Elenlachel, prompte à la colère.


« Ce n’est pas pour moi, dame ; mais pour le nom de ma lignée. »


La réponse arracha un sourire en coin à l’elfe.


« Quelle lignée, puisque tu te dénies à tout jamais de trouver un compagnon en passant pour un homme ? »


Et Adven n’eut rien à rétorquer, mais ce n’était pas la peine car déjà Elenlachel s’était détournée d’elle… Tout cet échange était encore une demonstration, pas une conversation ; le jeune femme devrait méditer ces paroles.

Le lendemain, alors qu’elle se présentait à sa maîtresse pour les leçons du jour ; cette dernière ne daigna pas se lever de son fauteuil… Au bout d’un long moment, elle tourna un regard ennuyé vers Adven et lui tînt ce discours.


« Et quoi ? Es-tu sotte ? N’en as tu pas assez appris pour t’en retourner vers les tiens ? Ton cheval est sellé et t’attend avec tes armes ; tu pourra traverser le flot de l’Anduin tant que j’aurai le présent que tu m’as promis, mais sitôt de l’autre côté, saches que je le brûlerai et plus jamais tu ne retrouvera le chemin de cette tour. Et ne songe pas à y revenir jamais, car ton peuple a bien assez troublé la paix de ma retraite pour cet âge ; à présent va. »


Et Adven ne put que se sentir blessée de ces propos acerbes, car elle estimait beaucoup la sage et puissante Noldor ; elle saisit son poignard à sa ceinture et trancha sa chevelure pour la poser sur la table, puis elle partit sans se retourner pour cacher ses larmes.

Ainsi ne vit elle pas Elenlachel la suivre des yeux, et suivant les conseils de cetter dernière, ne sut-elle jamais que l’enchanteresse conserva précieusement la chevelure de son élève, jusqu’à l’emporter au delà des mers où elle demeure immortelle.


[---]


Le temps avait passé, et le règne de Castamir avait révélé un souverain cruel et avide de richesses ; le Gondor souffrait de maintes privations, et espérait à présent le retour de son souverain en exil.

Eldacar, malgré sa promesse à son chevalier Valor, était sur le pied de guerre ; son cœur brûlait de prendre sa revanche, et de faire couler le sang de l’usurpateur, comme ce dernier avait fait couler le sien.

Car Castamir avait capturé le fils aîné du Roi, et l’avait exécuté sauvagement, comme on abat un animal ; ce fut comme s’il avait plongé un tison brûlant dans le cœur d’Eldacar, et dès lors, il ne subsista plus qu’un désir de vengeance dans le cœur du Roi.

Les armées du Gondor fidèle s’assemblaient, épaulées de leurs alliés de Rhovannion ; la soldatesque était nombreuse, les armures étincelaient au soleil et les étendards claquaient dans la brise matinale.

On ne pensait plus alors au chevalier de Pelargir, parti en quête d’un remède elfique ; non, tous sauf le frère de bouclier de Valor avaient oublié. Et le chevalier aux armes noires de Dor-en-Ernil regardait avec tristesse en direction de l’Ouest, car sous peu serait donné l’ordre de marche, et il s’ébranlerait alors avec l’armée du Roi. Finalement, Il demanda un délai à Eldacar :


« Mon Roi, j’aimerai rester en arrière pour attendre Valor de Pelargir, car j’en ai fait la promesse. »


Et Eldacar, malgré tout son empressement à retourner en son royaume, ne pouvait négliger l’honneur, c’est là ce qui le différenciait de Castamir.


« Soit, je te donne trois jours ; ainsi s’il survient, vous pourrez rattraper mon armée, vous qui êtes montés. »


Les trompètes sonnèrent et la troupe se mit en marche ; elle chemina plusieurs jours durant pour atteindre Osgiliath, et le triste spectacle de l’ancienne capitale dévastée jetta la colère dans le cœur des Dunedain loyaux et de leurs alliés du Rhovannion. Beltram Abâr-Dulgi n’était toujours pas venu, et un éclaireur vînt donner son conseil au Roi.


« Sire, le grand pont est détruit et il nous faudra bien du temps pour l’assurer afin que notre cavalerie et nos chariots puissent l’emprunter ; or les hommes de l’usurpateur tiennent l’autre rive, il nous faudra la leur reprendre par petits groupes, et ce sera à grands frais. »


Le Roi n’aimait pas cette idée, mais quelle autre solution avait-il ? Mais alors qu’il y songeait, une sentinelle annonça la venue d’une troupe par la route du Nord ; à leur tête, deux cavaliers portant les couleurs du Gondor !

Tous se réjouirent car Valor et Beltram avaient rejoint le Roi, et la surprise fut grande quant à leurs compagnons, petite silouhettes encapuchonnées, avec des chariots. Le chevalier de Pelargir s’expliqua.


« Mon Roi, voici des nains venus des Monts du Fer ; ce sont les plus habiles sapeurs qu’il te sera donné de voir, en échange de quelques beaux blocs de pierre d’Osgiliath, il répareront le pont. »

« Bien qu’il me coûte de me séparer de la pierre de nos ancêtres, c’est une maigre contrepartie contre le prix que les nains auraient à payer pour réparer le pont ; il y a sur l’autre rive des archers ennemis, qui ne manqueront pas de les tuer en grand nombre. »


Et le chef des nains se contenta de rire, puis fit signe à ses compagnons de mettre leur art à l’œuvre. Les nains avançaient par deux, un premier protégeant le second d’un large bouclier ; ils allumèrent des feux sous l’arche du pont, dans lesquels il glissèrent une poudre de pierre qui changea la fumée en un masque épais et âcre, irrespirable. Le vent portant le panache sur l’autre rive, il indisposa les archers ennemis, qui lachèrent quelques traits au hasard avant de se replier ; les nains, eux, nullement incomodés, se mirent à l’ouvrage.

Il ne fallut pas plus d’une journée aux nains pour jetter un pont entre les deux morceaux d’Osgiliath ; et alors la cavalerie lourde du Gondor put charger, surprenant l’ennemi en jaillissant du nuage de fumée, et le dispersant comme le vent emporte les feuilles mortes. Ce fut une grande victoire, et des messagers partirent dans les villages porter la nouvelle et lever de nouvelles troupes.

Castamir fut horrifié lorsqu’on lui signifia comment Eldacar avait passé l’Anduin ; il ne songeait plus qu’à quitter Minas Tirith pour Pelargir où l’attendait sa flotte, car sur les flots, il serait invincible.

Mais son départ fut retardé, car le peuple de la cité blanche lui joua un vilain tour ; on cacha les victuailles, certains greniers furent incendiés par leurs tenants, et les tonneaux de vin comme d’eau furent arrangés à grands renforts de sel.

On disait Eldacar et son armée à un jour de marche à peine ; Castamir réunit ses chevaliers et abandonna la piétaille, chevauchant grand train vers Pelargir. Mais les sergents, les piquierrs et les archers ; voyant en qu’elle estime les tenait leur capitaine, laissèrent grandes ouvertes les portes de la ville pour le retour du Roi ; ils allumèrent ensuite un feu de signalisation pour l’informer de la fuite de l’usurpateur.

Dans le camp, on rapporta les événements à Eldacar.


« Compagnons, que signifie donc ce panache de fumée ? »


Valor et Beltram, qui venaient de la côte, n’eurent aucun mal à déchiffrer le message des soldats de la flotte.


« Castamir s’enfuit au Sud-Est, il chevauche grand train. »


Il n’en fallut pas plus au Roi ; plein de rage il se dressa et tira l’épée au clair.


« A moi mes Queni ! C’est l’heure du fer et de la vengeance ! Pour le Gondor ! »


Et tous les chevaliers se mirent en selle avec une ardeur décuplée, au cri de :


« Pour le Roi ! »


Les deux compagnies se rencontrèrent aux gués de l’Erui, il n’y avait là que des chevaliers montés, avec leurs lourdes armures, de fortes lances et de bons boucliers ; un combat à l’ancienne mode.

Le seul avertissement fut le son du Cor du Gondor, puis comme une déferlante, les chevaliers du Roi Eldacar frappèrent durement la ligne ennemie ; des hommes périrent écrasés sous les sabots des chevaux, les lances furent brisées, les boucliers volèrent en éclats ; et rien n’arrêtait la soif de sang des combattants ; ils mirent pied à terre et tirèrent leurs épées.

Valor rendit son bouclier à Beltram, pour remplacer celui qu’il avait perdu ; et la plume noire du cygne de Dor-en-Ernil n’eut pas le temps de protester, car déjà le chevalier fidèle de Pelargir dansait avec adresse entre les ennemis, sa terrible Gwaemithren fauchant les chevaliers dans le son harmonieux qu’aurait pu avoir la flûte de Mandos lui-même. Ce bruit jetta l’effroi dans le cœur des hommes de Castamir, et lorsqu’il approchait, certains tournèrent les talons ; enfin, Castamir se retrouva seul et encerclé, mais le Roi arrêta ses Queni pour défier l’usurpateur en duel.

Ce fut bref, car la colère d’Eldacar n’avait pas de pareil ; son premier coup brisa l’épée de Castamir et le second le trancha en deux, de l’épaule jusqu’à l’aine.


« Tu voulais qu’en Gondor, seul coule le sang de Numenor félon ? Tu as été exaucé, saigne-donc tout ton saoul ! »


Et une brise marine se leva, les nuages disparurent, et la nature chanta comme pour rendre hommage à son Roi, retrouvé.


[---]


Mais les fils de Castamir et leurs partisans avaient fui jusqu’à Pelargir où attendait leur flotte. Le Roi ne voulut pas les poursuivre, il avait à faire à Minas Tirith ; on y retrouva l’armée en marche, et la liesse fut grande pour accueillir le Roi en sa maison.

Même si les gardes à la muraille restaient vigilants, ce fut une nuit de fête dans la cité blanche ; les gens sortirent toutes les provisions qui n’étaient pas gâtées, et la musique raisonna longtemps dans la nuit.

A la table du Roi, on conta les exploits à la bataille, et sans nul doute ceux de Valor étaient-ils les plus grands ; un chevalier s’exclama même.


« Et au milieu de la mêlée, il préféra rendre son bouclier à Beltram de Dor-en-Ernil pour qu’il s’en protège, car Valor n’avait pas besoin de ce dernier, son adresse à l’épée est si grande qu’aucun coup ne peut l’atteindre ! »


Mais cette remarque innocente, ne manqua pas d’humilier le pauvre chevalier de Dor-en-Ernil, tant elle laissait entendre que son courage était moindre. Il garda cette amertume par-devant lui et but son vin en silence.

Mais la litanie de louanges ne cessa pas, on loua Valor pour avoir su s’atirer l’amitié des nains ; on lui accorda même tout le crédit pour avoir déchiffré les signaux de fumée qui menèrent à la victoire sur Castamir au gué de l’Erui.

Aviné, humilié ; Beltram n’en restait pas moins un chevalier d’une grande sagacité ; quelque chose l'intriguait aussi demanda-t-il:


« Le chevalier de Pelargir avait fait le vœu de ne pas retirer ses armes tant que le Roi ne siègerait sur son trône, et que Castamir aurait été bouté hors des frontières du Gondor ; pourquoi ne les a-t-il pas ôtées ce soir ? »


Et même le Roi trouva la question pertinente.


« C’est vérité Valor, tu devrais pouvoir te réjouir comme nous tous en ce jour. Pourquoi n’ôtes tu pas tes armes ? »


En fâcheuse posture, Adven Azrâ-Tarik dut trouver rapidement un prétexte.


« Mon Roi, la parenté de Castamir le félon occupe toujours Pelargir, qui est ma cité natale et appartient à votre royaume ; je ne saurai être en paix tant que je ne les en aurais pas chassés. »


Et le roi trouva l’intention fort noble, comme ses compagnons, il se leva et fut suivi par tous, prêtant serment de reprendre Pelargir aux mains des fils de Castamir.


« Tu as raison Valor, et encore une fois tu nous rappelle à nos devoirs de chevaliers ; nous ne devrions pas prendre de repos tant que notre ennemi est à nos portes. »


Une louange de plus que Beltram encaissa les dents serrées, mais il ne montra rien de son déplaisir.

Le lendemain, selon les vœux du Roi, l’armée se prépara à repartir, forte des troupes abandonnées par Castamir. Toute à son désir de vengeance, Adven négligea de prendre un bouclier, qu’elle trouvait à présent fort incommode ; mais ce faisant, elle ne renouvela pas son amitié avec la plume noire du cygne de Dol Armoth. Ce dernier en fut mortifié, car aux yeux de tous les Quenis, il n’était plus assez bon pour être l’égal et le frère du pilier dressé face à la mer de Pelargir.

En le cœur de Beltram Abâr-Dulgi, l’amertume se changea en un poison acide qui se mit à le ronger.


Ah le traître ! Comme son amitié est inconstante ! Pourtant je l’ai épargné jadis, et je me suis porté garant de lui auprès du Roi ! Et si je ne l’avais attendu en Rhovannion, au risque d’être traîté de lâche, il n’aurait pas pu rejoindre notre troupe à Osgiliath et ainsi briller aux yeux du Roi !


Mais Valor de Pelargir avait négligé son conseil jadis ; il avait sa témérité pour lui, soit ; Beltram avait sa sagesse, il attendrait patiemment derrière elle comme un bouclier, comme lors de leur premier combat, et lorsque Valor se relâcherai…

Arrivé en vue de Pelargir, le Roi prit le temps d’observer la cité ; le port était empli de navires de guerre, et presque toute la flotte du Gondor mouillait dans le delta de l’Anduin. Beltram s’approcha de Valor et lui glissa de façon anodine :


« Assurément ils débarquent des troupes, la prise de la cité sera probablement plus ardue à mesure que le jour déclinera. Et connaissant les fils de Castamir, ils mettront le feu aux navires plutôt que nous laisser les reprendre. »


Il n’en fallut pas plus pour faire bondir Valor.


« Mon Roi, je connais bien la cité ; si tu me confiais une compagnie, je pourrai l’y faire entrer, prendre les quais et les tenir le temps que vous enfonciez les portes ! »


Mais d’une façon plus posée, Beltram de Dor-en-Ernil songea tout haut :


« Si les fils sont comme le père, ils prendront peur en voyant l’ennemi dans la ville ; ils s’enfuieront et nous perdrons tous nos navires. »


Valor pensa que son ami l’appuyait, confirmant le risque que les navires à l’ancre soient brûlés ; et le Roi, entendant encore Beltram prôner la prudence, se décida pour son Queni le plus vaillant.


« Je te donne ma confiance Valor, car c’est ta cité ; prend les hommes dont tu as besoin et fais selon ta volonté. »


Adven choisit des piquiers et des archers à pieds, puis les mena par un chemin secret passant sous la muraille ; ils débouchèrent sur le port, et se ruèrent férocement à l’assaut des quais. Les fils de Castamir, comme Beltram l’avait prévu, prirent grande peur et ordonnèrent qu’on leva l’ancre, abandonnant hommes et marchandises derrière eux.

Sur la colline, observant le spectacle, Beltram se lamenta.


« Et voilà ! Le seigneur de Pelargir a retrouvé ses terres, mais dans sa hâte Gondor y a perdu sa flotte, et les traîtres encore nous échappent ! »


Eldacar était fort mécontent, et il s’en prit au chevalier de Dor-en-Ernil.


« Peut-on blâme Valor pour sa vaillance ? Et toi prudent Beltram qu’aurais-tu fait à sa place ? »

« J’aurai attendu à Minas Tirith, laissant l’ennemi se découvrir dans les terres, et nous aurions pu prendre les fils de l’usurpateur ainsi que nos navires ! J’estime chèrement Valor, mais n’a-t-il pas appris chez les elfes les voies du Noldolantë ? »


Et en effet, ce triste épisode de l’histoire Eldar relatait bien la prise du port d’Aqualondë par les Noldor ; le Roi dut s’incliner devant la sagesse affligée du chevalier de Dor-en-Ernil, car il ne montrait point de colère.


« Tu es un homme de raison Beltram, et j’ai négligé ton conseil, tout préoccupé que j’étais par la revanche et par la gloire… Que faire à présent ? »

« Mon Roi, laisse ton serviteur reprendre la cité pour toi ; nous aviserons ensuite lorsque la poussière sera retombée. »


Et Eldacar confia le commandement de l’armée à Beltram ; avec la fuite des fils de Castamir, les défenseurs perdirent courage comme le malin chevalier de Dor-en-Ernil l’avait prévu, et ils se rendirent, déposant les armes partout sur son passage.

Ce fut une victoire éclatante, une fois Beltram au port, Valor se porta à sa rencontre.


« La ville est à nous, mais les lâches fils de Castamir se sont enfuis. »

« Allons, réjouissez-vous mon frère, vous voici de retour chez vous et malgré tout, votre action preste a évitée de faire couler le sang ; ne manquez pas d’en informer le Roi, car il est curieux de savoir comment la bataille s’est déroulée. »

« Fort bien, je vais de ce pas le rejoindre sur la colline. »


Et Beltram sut, que sa revanche était à portée de main ; Adven se précipita devant le Roi, et lui conta comment son action avait mis l’ennemi en fuite, permettant à Beltram de prendre la ville ; Eldacar entra alors dans une sourde colère.


« Ta hâte et ta soif de gloire ont coûté au Gondor toute sa flotte ! Et elles ne connaissent point de limites, vu que tu as l’effronterie de venir te prévaloir devant moi de la victoire du chevalier de Dor-en-Ernil ! Comment ce sage et doux seigneur reste-t-il ton ami ? Ceci est un mystère ! Car je réalise maintenant combien tu l’as mal repayé pour toutes ses largesses. Je ne vois point le bouclier qu’il t’avait offert en parfaite amitié à ton bras, et sais-tu qu’il t’a attendu dix ans durant ? Ne cessant de guetter ton retour ! »


Et sur ces entrefaits arriva Beltram ; il mit pied à terre et entra en armes sous la tente du Roi, l’entendant se fâcher, il mit genou à terre et feint la plus grande humilité.


« Grand Roi, je t’en prie appaise ton courroux ; la fougue de Valor n’est que l’attribut de sa jeunesse. Si tu dois passer ton épée au travers du corps de quelqu’un, que ce soit moi car j’aurai du mieux le conseiller ! »


Et ce disant, Beltram avait ôté son plastron pour offrir sa poitrine au coup ; mais le Roi ne voulait rien entendre.


« Et il te défend encore ! Quelle noblesse, voilà l’esprit de la chevalerie selon les fidèles de Numenor. Et toi Valor, ne prendrais tu pas un coup d’épée pour protéger pareil frère ? »


Et Adven pâlit car elle était piégée ; a son tour, la mort dans l’âme, elle défit son plastron, découvrant son bandage, puis son blanc sein. La révélation de la nature du chevalier de Pelargir dépassa de loin la petite vengeance escomptée par le chevalier outragé de Dor-en-Ernil ; le roi pâlit et Beltram manqua de s’évanouir.


« Tu n’es pas Valor fils de Gaïben, mais bien sa sœur Adven ! Tout du long tu as menti à tes pairs chevaliers, et pire, à ton Roi ! Tu as déshonnorée ta lignée, et bafoué l’ordre Queni du Gondor… Gardes, saisissez-vous de cette femme ! »


Lentement la surprise laissa place à la colère, et le Roi Eldacar tenta d’être aussi juste et patient qu’il le pouvait en cet état.


« Que l’on réunisse mes vassaux à Pelargir, l’affaire est grâve et nous devons tenir conseil. »


Tous les chevaliers apprirent ainsi avec horreur la vérité, et on débatit longtemps jusqu’à la mort des chandelles ; Beltram avait été désigné comme sénéchal du Roi, et en qualité de premier chevalier, ce fut à lui de décider. Il n’était pas mauvais homme, et sa rivalité avec Valor avait pris fin dès qu’il avait réalisé que ce dernier était un fantôme ; mais l’offense était grâve et la coutûme demandait une action en conséquence. Il finit par tenir ce discours à ses pairs :


« Gondor est affaibli, la luttre fratricide ne l’a pas épargnée ; nos ennemis, à l’Est, et à présent au Sud, ne manqueront pas de nous frapper au défaut de la cuirasse. Le Roi, ne peut se permettre hélas, que l’on dise partout qu’une demoiselle peut l’abuser et que son ordre de Queni est fantôche. Cependant, la jeune dame Adven de Pelargir a agi toujours avec courage, et au service du Roi ; nous lui devons une chance de s’expliquer. »


Le Roi était désolé par la tournure des événements, il pria Beltram de lui donner un sage conseil.


« Mon sénéchal, tu as à maintes reprises prouvé ta sagesse ; mais comment Adven Azra-Târik, fille de Gaïben, pourra-t-elle défendre son bon droit ? Notre loi lui interdit de porter les armes… Et aucun Queni du Gondor ne pourra le faire pour elle. »


Et tous firent une grâve figure, car ils auraient pris les armes sans hésiter pour défendre la demoiselle de Pelargir, mais étant les offensés, ils ne le pouvaient point.


« Mon Roi, il faudra faire une proclamation publique, afin qu’elle se trouve un champion ; et si au delà du délai d’un an et un jour, personne ne s’est présenté pour défendre son honneur, alors on lui tranchera le cou… Car c’est là la peine prévue pour les parjures. »


La nouvelle fut portée aux quatre coins du royaume dès le chant du coq, et le délai commença à courir.


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Ce n’est pas la fin de la geste d’Adven, mais pour en connaître la suite, il nous faudra alors nous pencher sur une tout autre histoire, celle du chevalier Nardu-Inzil…Et cette histoire, elle, est pour plus tard.
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