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Le comte de Minuit.

La pendule sonna le douzième coup, le comte de minuit enfila sa redingote tissée de ténèbres, sortit sur le perron de son cottage et entre ses doigts saisit la lune pour la glisser dans sa lanterne.

Ranulf, son garou domestique attendait la langue pendante, tout excité à l’idée de la promenade nocturne qu’il faisait toujours avec son maître ; Ranulf n’était pas un de ces gros loups garous qui font peur aux enfants, en fait c’était plutôt un cocker garou, le jour ce brave domestique suédois ne comprenait pas la pulsion irrépressible qui l’attirait vers les cours de tennis.

 

Ils quittèrent la petite colline où se trouvait leur maison et descendirent vers les bois, il y avait de très jolis bois dans la région. Le tapis de feuilles mortes, éclairé par les rayons lunaires, devenait une rivière d’or ; ils allaient ainsi sur les chemins et le comte de minuit enviait le beau manteau de l’Automne. Sa redingote était tissée avec la soie des vers de nuit, elle ne reflétait pas la lumière, ne la capturait pas, c’était un noir doux et profond. Lorsque l’on regardait la redingote on ne voyait pas celui qui la portait, c’était ma foi fort pratique pour le comte qui n’était pas un grand bavard.

 

« Eh, irions nous au cimetière ce soir monsieur le comte ? »

 

C’était le grand problème des arbres, spécialement des chênes ; tels des petits vieux ne quittant pas leur banc ils aimaient plus que tout qu’on leur apporte le monde par une bonne conversation. Le comte aimait bien le vieux chêne, mais il avait très grand mal à parler aussi il s’arrêta et le salua poliment comme doit le faire un gentilhomme qui en croise un autre.

 

« Bien le bonsoir à vous aussi, monsieur le comte. »

 

Ranulf en lycanthrope bien élevé ne leva pas la patte sur le vieux chêne et le gratifia d’un jappement courtois. La compagnie continua et arriva devant la mer de ronces, Ranulf aboya et au bout d’un moment le lapin de service fit son apparition, les yeux rougis et le bonnet de nuit encore sur la tête.

Le comte fouilla dans sa besace et en extirpa une belle botte de carottes du jardin, le lapin les regarda d’un œil critique puis retourna dans son terrier en bougonnant ; au bout d’un moment et dans un bruit de poulies, la mer de ronces s’écarta, révélant le chemin menant au cimetière.

 

Au milieu du chemin restait assis le squelette d’un prince peu charmant, ce n’était pas un squelette effrayant à proprement parler, juste un homme devenu plus vieux que le plus gâteux des papys du village : plus maigre encore et blanc de partout en plus des cheveux, ce prince-ci en avait d’ailleurs beaucoup.

 

« Vous n’auriez pas un sécateur sur vous par hasard ? »

 

Le comte de minuit secoua la tête négativement, ce prince était fort peu charmant et il lui avait coûté de vouloir découper les ronces plutôt que de payer le tribut des lapins.

 

« Ca m’aurait étonné, depuis le temps que vous passez par là vous pourriez penser à prendre un sécateur sur vous ! »

 

Le comte fouilla dans sa besace et en sortit un peigne, il le déposa dans la main du squelette, le salua et reprit sa route ; Ranulf s’attarda, chipa un fémur au prince dont on entendit les imprécations jusqu’à l’autre bout du pays. Heureusement pour les gens des alentours, peu d’entre eux parlaient la langue des morts aussi ils crurent que c’était juste le vent jouant dans les arbres. Les ronces engloutirent à nouveau le prince peu charmant et sa mauvaise humeur.

 

Seuls des gens très spéciaux étaient au fait de l’existence du royaume des promesses brisées dans le pays, et ces gens très spéciaux se taisaient aujourd’hui car les fous avec leurs voitures à quatre roues motrices et leurs téléphones portables les persécutaient, à la façon dont les paysans ignorants qu’avaient été leurs ancêtres avant eux l’avaient toujours fait.

 

Le comte atteint la grille d’entrée du cimetière, toujours ouverte en apparence, mais il fit sonner la cloche du réveil des morts et s’arrêta sur le seuil. Croque-mort John arriva en traînant sa patte folle, pas qu’elle fut vraiment folle mais plutôt paresseuse alors il fallait la traîner ; frottant ses mains noires de terre il invita le comte à entrer.

 

« Bonsoir monsieur le comte, l’horloger vous attend ! »

 

l’Horloger était un homme très important et son grand chapeau tout comme sa longue barbe en attestaient, il vivait dans la crypte où on avait enterré le tout premier des morts. Une très jolie crypte au demeurant, de la bonne pierre galloise ; le sol était recouvert de tapis persans et les murs de tapisseries si finement ouvragées qu’on les auraient cru vivantes.

 

« Vous êtes en retard ! »

 

Ce n’était pas vrai, l’horloger aimait accueillir ainsi les gens et leur montrer qu’il était un homme important, un homme avec un grand chapeau et une longue barbe. Un homme comme ça ne se serait pas abaissé à un simple bonsoir comme le commun des immortels.

 

« Il est l’heure, j’ai vos nouvelles chaînes mon ami ! »

 

Les chaînes étaient un élément important de la panoplie, un bon fantôme est généralement fort discret, donc si il veut que l’on remarque son ouvrage, il se doit de traîner de belles et fort bruyantes chaînes. Ce siècle les chaînes sont l’accessoire à la mode.

 

Et l’horloger n’avait pas lésiné sur les moyens, c’étaient là de très belles chaînes noires et rouillées griffées Astaroth et fils, maison la plus réputée des enfers en matière de conception d’objets douloureux et inconfortables. Les mêmes ayant forgé la plaque d’accueil à l’entrée qui disait : Vous qui entrez ici abandonnez tout espoir, ainsi que vos chaussures et mettez des socquettes s’il vous plaît. Il faut dire que Lucifer qui était électricien de formation avait épousé Lilith, mère de tous les démons, et que cette dernière était assez maniaque en ce qui concerne la propreté. Le sang sur du marbre c’est salissant alors si on y ajoute des traces de pas, les succubes de ménage ne s’en sortent pas.

 

Aussi joyeusement qu’une ombre n’ayant pour visage qu’un masque de carnaval puisse le faire, le comte de minuit enfila ses nouvelles chaînes sous sa redingote et fit quelques tours en l’air pour voir ce que ça donnait. Ranulf aboya, croque-mort John applaudit et l’horloger regarda une de ses montres l’air mécontent.

 

« Il est l’heure d’aller travailler, toutes ces maisons ne vont pas se hanter toutes seules ! »

 

La compagnie retrouva son sérieux et chacun partit vaquer à ses occupations nocturnes, dehors le cimetière revenait à la vie.

Page vue 1433 fois, créée le 05.09.2007 21h52 par guinch
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