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Mick Chomsky, a real american hero.

Mick ouvrit la porte avec la même résignation ennuyée, la force de la frustration qui le motivait chaque jour à respirer, ouvrir les yeux et décider de ne pas mourir pour un jour de plus. Il fit péniblement passer à son fauteuil le seuil de l’appartement non aménagé qu’il avait dans le Bronx, miteux mais encore acceptable pour un gars comme Mick. La porte refermée mais pas verrouillée, invitation à celui qui pourrait apporter le repos libérateur à l’âme troublée de ce jeune handicapé de 32 ans, cloué dans son fauteuil par une mine antipersonnel de type Papillon.

Mick ne cessait de repenser au bond terrifiant de cette petite salope, à ses jambes criblées de Shrapnel, ensanglantées, comme con visage couvert de flots de sang provenant du haut de son crâne. D’un autre côté, Mick était vivant, pas comme la plupart des gars de son escouade qui avait été balayée dans l’embuscade de cette belle matinée de printemps, loin de la maison, là bas dans ce pays étrange qu’était l’Afrique, avec sa terre rouge, son sable jaune, sa forêt luxuriante et verte, son ciel immense…Dernière vision de nombreux jeunes américains affrontant de jeunes chinois, de jeunes européens, et tout ça pour le même foutu liquide noir, poisseux et puant ; pétrole si rare et si précieux.

Mick ravala un toussotement et alluma la télé d’un geste rageur, il pivota prestement et roula jusqu’au frigo, il faisait dos au poste de télévision qui crachait les mêmes images de bombardements « propres » sur des cibles « militaires » des pays occupant illégalement une nation amie sous « protectorat » Américain ; mêmes mensonges jour après jour, Mick n’aurait pour rien au monde souhaité être au front, mais il rageait de voir ses talents gâchés là au fond d’un appartement crasseux ; une vue parfaite, des capacités pulmonaires et cardiaques exemplaires, une connaissance sans faille des stratégies d’infanterie moderne, une maîtrise de tous types d’armes personnelles, mais la cruelle absence de deux jambes et de la volonté nécessaire à faire quoi que ce soit de sa vie aujourd’hui.

Mick frotta sa barbe piquante, huma l’odeur de ses cheveux gras et négligés, il ne restait plus grand chose du sous officier prometteur qu’était le jeune homme ; il prit une canette de bière blonde et posa son regard sur le table basse où s’étalait le courrier depuis deux semaines. Parmi toutes les publicités, factures et lettres de refus des assurances médicales privées il y avait une de ces lettres à en tête du ministère de la défense, les courriers opaques et angoissants toujours porteurs de mauvaises nouvelles ; l’armée avait oublié son « boy » depuis des mois, depuis sa sortie de l’hôpital militaire de Bethesda.

Mick hésita longtemps, il laissa le goût amer de la bière envahir sa bouche, le liquide tiédissant et coulant dans sa gorge ; faisant la moue il s’empara de la lettre et la décacheta. Ce truc était horrible et tout sauf pratique à ouvrir, la lettre était plutôt inhabituelle…Pas un ordre ou un truc de ce genre, en fait il s’agissait d’une lettre d’un colonel du service médical, il assurait le dédommagement et l’augmentation de la pension de Mick après un simple prélèvement de tissus, formalité assurant la mise à jour de son dossier médical.  La lettre datait un peu et la date de rendez-vous était passée, mais c’était cette pension ou crever comme un rat, Mick était devenu dépendant à la morphine durant son séjour à l’hosto et cette dépendance lui coûtait très cher. Il décrocha fiévreusement le téléphone et composa le numéro du standard de l’hôpital, une voix féminine mais pincée, vraiment le bidasse de bureau.

_Hôpital militaire de Bethesda, j’écoute.

_Allô, oui Michael Chomsky, j’avais rendez-vous pour un…prélèvement de tissus le 28 à dix heures.

_Attendez je vérifie.

Mick se rongeait les ongles, ce genre de retard pouvait renfrogner les bureaucrates, moins d’une minute pourtant très longue et la secrétaire répondit.

_Oui j’ai votre rendez vous sur le registre Sergent Chomsky.

_Et bien j’ai eût un problème…

_Ne quittez pas je vous passe le docteur Jax.

L’attente fut anormalement longue et le bruit des tonalités bizarres, comme une sorte de modem, assez semblable à ces unités de communication satellite Magellan que Mick avait utilisé par le passé. La voix était claire et détendue.

_Sergent Chomsky ?

_Oui, je suis là.

_Ah, parfait, docteur Jax à l’appareil, j’aimerai si c’est possible que vous preniez rendez-vous au plus vite pour le prélèvement, la banque de données sera mise à jour très bientôt vous savez.

_Euh, oui dès que possible.

Un pot incroyable, enfin un homme plus médecin que militaire ; Mick avait du mal à croire qu’un peu de chance lui était revenue, enfin après cette foutue année de galères.

_Et bien j’aimerai que vous alliez de suite à Bethesda si vous pouvez, dites leur que c’est moi qui vous envoie et toute cette affaire sera réglée en un rien de temps.

_Merci beaucoup docteur, je file.

_De rien mon garçon, vous servez bien votre pays.

Aussi vite qu’il pouvait, Mick sortit et claqua la porte…Un entrain nouveau dans son regard bleu.

Tout se passa comme dans un rêve, excepté le retour ; Mick s’était arrêté dans une épicerie, juste le temps d’acheter une bouteille de Jack Daniels, pas vraiment le luxe mais assez appréciable pour quelqu’un dont le quotidien se borne au Chili con carne en boîte de conserve ; Mick roulait paisiblement avec son précieux bien drapé dans un sac de papier, alors qu’il ne faisait pas attention à son environnement, la roue gauche se bloqua et Mick manqua de tomber ; il s’arrêta net et regarda la cause de son accident de parcours. Un clochard hirsute assis par terre avait essayé d’attirer son attention, ce con avait bien failli le précipiter par terre et briser sa bouteille oui ! Mick essaya de rester calme et se préparait à partir pour éviter les problèmes, il détestait s’en laisser remontrer mais il fallait avouer qu’un handicapé en fauteuil roulant n’était pas à même de se défendre sans une arme à feu. Le clodo était édenté et portait une vieille veste camouflée de l’armée, une pauvre décoration venait achever cette vision pathétique, l’haleine chargé d’alcool il s’adressa à Mick.

_T’aurais pas un petite pièce l’ami ?

_J’en ait chié pour ma patrie et j’ai pas un rond alors je vois pas pourquoi il te pleuvrait du fric sur la gueule connard.

_Va te faire foutre, mois aussi je suis un vétéran, j’ai mérité autant que toi sale con.

_Ah ouais, quelle guerre tu as fait ? Tu as perdu tes jambes ?

_J’ai fait l’Afghanistan.

_Tu rigoles là, je te parle d’une vraie guerre, avec un ennemi armé qui te combat, pas trois péquenauds barbus qui se terrent dans des terriers de lapin ; moi j’ai été au feu, j’ai perdu mes foutues guibolles, j’ai saigné comme un porc et on m’a oublié et laissé pourrir ! Tu piges vieux trouduc ?

Le clochard eût un sourire désabusé, il baissa la tête.

_J’ai été irradié par un obus à l’uranium appauvri, moi aussi j’en ait chié, je pisse du sang depuis des années, j’ai plus de dents et mes cheveux se barrent par poignées…Moi aussi on m’a oublié, je suis dans la rue mon pote.

Mick ravala sa rancœur, il fit pivoter son fauteuil et poussa comme jamais sur ses bras pour faire disparaître cette vision de cauchemar à tout jamais, non ce n’était pas possible, il avait sa pension maintenant, il ne finirait jamais à la rue comme ça, puis cette histoire d’Uranium appauvri, c’était bidon. Rentré chez lui, Mick ouvrit la bouteille avec fièvre et versa dans une tasse à café poussiéreuse qui traînait sur la table du salon, journal de treize heures à la télé, il avait oublié de l’éteindre, la speakerine balançait ses horreurs et mensonges homéopathiques journaliers quand elle se concentra sur son oreillette, faisant silence, elle était assez pale, sa voix faiblarde trahissait sa diction professionnelle.

« La dépêche vient de tomber, le président des Etats-Unis vient d’autoriser la riposte à l’encontre de la flotte Chinoise stationnée près des stations pétrolières de… »

Plus rien, un grand blanc, ce midi un soleil artificiel brilla dans le ciel ; les multiples têtes nucléaires frappèrent un objectif sans défense aucune et pourtant d’importance cruciale, le pôle nord. La vague ravagea toutes les côtes, New York fut engloutie et le dernier souvenir de Mick fut le goût du bourbon dans sa bouche. C’était la fin du vieux monde, le début du chaos, le prélude à un nouvel ordre mondial qui s’était insidieusement mis en place toutes ces dernières années.

Page vue 847 fois, créée le 05.09.2007 23h23 par guinch
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