La limousine glissait sur l’asphalte comme une gondole dans les canaux de Venise, elle s’arrêta sans à-coup devant l’entrée de l’immeuble, alentours la nuit commençait à tomber et les réverbères s’allumaient en cliquetant, de nouvelles étoiles commençaient à illuminer la noirceur du cœur de la ville et D était sûr d’être la plus brillante d’entre elles, sa robe d’un grand couturier dont elle avait oublié le nom mais pas le prix renvoyait la lumière en tous sens, les petits miroirs enchâssés dans ses mailles la faisaient ressembler à une fée. Ses cheveux délicieusement négligés tombaient retenus par un fil d’argent entre ses omoplates dénudées, chacun de ses pas semblait vouloir entraîner le décor dans les mouvements hypnotiques qui animaient ses courbes de félin. Son doigt épousa la surface de l’interphone de Cassandre, d’un ton impérieux elle s’annonça :
« Cassie chérie si tu n’es pas en bas dans une minute je pars sans toi. »
Elle sourit en entendant la jeune femme bredouiller une excuse quelconque et s’amusa à ajouter :
« Tu sais que ça me briserai le cœur de faire ça, tu le sais hein ? »
Le hall derrière la porte s’illumina et Cassandre descendit les marches nerveusement en essayant de mettre de l’ordre dans son sac, passant la porte elle n’échappa pas à l’étreinte légère de sa nouvelle amie qui déposa un baiser sur sa joue d’un air pressé, son parfum enivrant donnait à la nuit un air de dîner appétissant dont on hume les parfums prometteurs ; Cassie hoqueta de surprise en voyant l’immense limousine blanche garée le long du trottoir.
_Tu te fous de moi ?
_Non, grimpe Cendrillon.
Installées dans le salon que formait l’espace passagers, Cassandre et D regardaient la ville au travers des vitres fumées.
_Où va-t-on ?
_Te trouver un homme et s’amuser, c’est une chance que tu aies eu cette récupération ce soir, il n’y a rien de meilleur que commencer une semaine par faire la fête.
_Allez dis-m’en plus.
_Une petite soirée organisée chez un ami producteur de films, champagne, jeunes gens charmants et dociles, cocaïne…Et piscine chauffée. Concernant la piscine il ne faut pas s’y baigner à moins d’être passablement défoncée, le mieux c’est d’avoir cet air blasé qui laisse penser que c’est bon pour le commun des gens mais pas toi, tu vois ?
_La décadence de l’Empire romain.
_Néron ne sera pas de la fête ma grande, je trouve que c’est super négligé de vomir en public.
_T’inquiètes pas, ce n’est pas dans mes projets.
_Que tu dis.
La villa était perchée comme le nid d’un aigle dans les hauteurs d’un quartier si riche qu’il était protégé comme une enclave avec son lot de barbelés, grillages électrifiés, gardes patibulaires et molosses baveux. Les lumières de toutes les couleurs traversaient les surfaces vitrées qu’un architecte audacieux avait conçues pour que sa cage n’ai pas de barreaux, du moins pas de barreaux visibles ; il y avait au bas mot une centaine de personnes dont les attributs laissaient penser qu’ils possédaient le pouvoir, peut-être pas le pouvoir au sens du comte Orlock et de ses bizarreries africaines mais le pouvoir du papier vert et des petits zéros attenants dans des banques offshores des caraïbes. Cela s’exprimait aux bijoux, or, platine et diamants de tous feux qu’ils portaient, aux voitures toutes plus extravagantes garées alentours, aux cigares, alcools et drogues sans prix qu’ils gaspillaient dans une parodie de générosité, aux créatures splendides dont ils s’entouraient comme des animaux. Tout cela puait la souffrance qu’il avait fallu sans cesse infliger à d’autres pour les dépouiller de tout ce qui leur était nécessaire et le transformer ici en tout ce qui était superflu. D naviguait avec aisance parmi ces visages ornés de sourires factices, elle ressemblait à une reine, une superbe comète passant en brûlant tout et que chacun des ces soi-disant puissants s’évertuait à courtiser, à vouloir apprivoiser…En vain. C’était ici une sorte de visite guidée et D connaissait son petit monde comme personne.
_Alors comment tu le trouves ?
_Bien, mieux qu’à la télé en tout cas, il est très sympa aussi, je n’aurai pas cru tu sais.
_Et bien écoute plutôt ça, ce que monsieur aime pardessus tout c’est la cire de bougie et les colliers étrangleurs…Se faire appeler seigneur aussi.
Cassandre ne riait pas, D lui désignait un des hommes représentant l’idéal masculin de nombreux films romantiques ayant explosé le box-office.
_Il est de suite moins sympathique chérie, mais tu peux me croire ce n’est pas un de ceux que tu pourrai qualifier de « pires ». Dans ce monde le sadomasochisme a été une mode comme une autre et il est très important d’être à la mode.
_Décidément pas mon genre.
_On ne peut pas savoir tant qu’on a pas essayé Cassie, mais viens plutôt prendre un verre au bar, je vais te présenter quelqu’un de « bien »
_Quelqu’un que l’on pourrai qualifier de « bien ».
_Tu commences à piger mon cœur, c’est bien.
Au bar, les deux femmes s’arrêtèrent et prirent négligemment une autre flûte de champagne ; Cassandre observait alentours.
_Où est-il ton type bien D ?
_Juste là.
D lui désigna le barman en smoking blanc qui s’affairait avec un shaker, sur son visage fin se dessina un sourire.
_Chartreuse on the Rocks, bonsoir mademoiselle.
_Bonsoir.
La peau pâle de l’homme contrastait avec ses cheveux et sourcils aussi noirs que la plume du corbeau, D se fit allumer une cigarette et joua un moment avec son collier de perles avant de parler sur le ton de la confidence.
_Roberto est un homme fantastique, discret et doué d’un bon sens inné il entend et voit tout ce qui est intéressant alentours, c’est aussi un homme avec un passé mystérieux ce qui ne fait que rajouter au plaisir, il a fait de la prison mais je ne sais toujours pas pourquoi…Excitant n’est-ce pas ?
_Sûrement mais…
_Pas de mais ma chérie, tu en as sérieusement besoin…Et il a des mains ! Des mains de guitariste flamenco, un rêve.
Roberto souriait derrière la table, il entendait tout ce qui se disait et n’en semblait pas le moins du monde gêné.
« Il n’y a pas de meilleur confesseur qu’un barman mademoiselle, et puis les prêtres eux n’ont pas le droit d’y toucher. »
D disparut comme par enchantement à cet instant, Cassandre la vit monter un escalier en compagnie d’un couple d’architectes allemands croisés un peu plus tôt ; soudain la musique devînt moins forte, la lumière moins brillante et le champagne fade…D avait quitté la fête et sa magie s’en allait avec elle, Cassandre reconnût à sa propre stupéfaction l’arrière goût amer de la jalousie dans sa bouche.